C’est une histoire qui commence un soir de printemps, sur une plage Bretonne.
J’avais presque trente ans, un métier passionnant, un job sympa dans lequel je gagnais très bien ma vie, un appart adorable avec un chat spacieux ou l’inverse, des copines avec qui je sortais de temps en temps.
Ce soir-là, assise sur un mur d’enceinte qui avait vu passer l’Histoire, je regardais le soleil se coucher sur la mer en sentant le vent qui jouait avec mes cheveux. Les couleurs étaient incroyables. La mer scintillait. On entendait les mouettes au loin, par-dessus le bruit des vagues. C’était sublime
Je me suis retournée, j’ai commencé à dire « C’est beau, non ? »
Mais il n’y avait personne à côté de moi pour partager ce moment exceptionnel.

Cette semaine-là j’ai appelé ma grande sœur et j’ai chouiné pendant une heure au téléphone au sujet de ma vie sentimentale, du temps qui passait et du fait que je n’aurais jamais d’enfant parce que je serait trop vieille pour en faire d’ici à ce qu’un type meilleur que la somme de mes ex veuille bien de moi, en admettant que je ne l’aie pas déjà croisé et fait fuir.
Elle m’a répondu un truc frappé au coin du bon sens.
Puisque tu existes, il y en a sûrement d’autres comme toi. Trouve-les.
Deux mois plus tard, je rencontrais M. Puma. Deux ans plus tard nous étions très mariés. Quatre ans plus tard j’étais très enceinte et cinq ans plus tard me voici très fatiguée parce que ma fille a murmuré « Tétttttééééé » cinq fois cette nuit en soulevant mon t-shirt.
J’ai toujours gardé cette phrase en tête pour les moments où je me sentais seule, bizarre et pas en phase avec mon entourage, ce qui m’arrive carrément souvent. Et même si je mets un point d’honneur à me mélanger allègrement à mes semblables en dépit de leurs dissemblances, de temps en temps ça fait du bien de rencontrer des gens qui partagent mon point de vue pour échanger avec eux. Des « comme moi ».
La solitude du parent hippie
Quand on est un parent hippie et qu’on a vendu son âme à une certaine Mme Aborigène, on se retrouve avec beaucoup de questions auxquelles ni la belle-sœur ni la boulangère n’ont la réponse.
Déjà on se fait railler parce qu’on se pose « trop de questions » – traduisez « tu ne te poses pas les mêmes que moi » – ensuite on se fait railler parce qu’on ne fait rien comme les autres – en même temps ces autres-là me font rarement envie alors on va dire que ça me va comme ça – et enfin les gens n’ont tout simplement pas de réponse à notre problématique du jour puisqu’ils n’ont même pas pigé l’intitulé de la question – allez parler de mastite à une femme qui a donné du lait en poudre à ses quatre enfants, même avec la meilleure volonté du monde comment voulez-vous qu’elle vous éclaire ?

Alors que le Jaguarondi avait six mois, que je n’avais aucun moyen de garde fiable à cause du RGO et qu’accessoirement elle souffrait le martyre sans qu’on trouve un interlocuteur qui prenne la chose au sérieux, je me suis sentie très très seule.
D’une part parce que mon entourage mettait son comportement sur le dos de mes convictions : « C’est parce que tu allaites/portes/laisses tout faire qu’elle crie ». Là on t’accuse carrément d’être la cause des maux de ton enfant, quand tu es la seule à faire de l’éducation positive dans ta famille tu te sens très très très isolée.
D’autre part quand ton bébé souffre de RGO sévère il hurle durant des heures et personne ne veut te le garder, pour faire simple. Exit donc la crèche du village – en fait pas top, on l’a appris plus tard -, la première nounou qui annule des prestations et menace de démissionner chaque mois… Donc si tu as un bon sens de la déduction tu as pigé que sans mode de garde je ne travaillais pas.
Or ce n’était pas du tout un choix et ça je l’ai assez mal vécu. Etant donné que depuis août j’avais des projets plein la tête, que je ne m’étais jamais rêvée en mère au foyer et qu’en gros sur une journée je voyais trois êtres humains max – bébé qui hurle, mari fatigué & médecin/caissière du supermarché – encore une fois je me sentais très très très très très seule.

Plus personne au lavoir
Un matin où j’avais bien le seum, comme disent les jeunes, je me suis rappelée de la fameuse phrase de ma sœur.
Je me suis demandé où je pouvais bien en trouver, des « comme moi » avec des bébés.
Ma copine d’accouchement Nadège était bien loin à Nîmes, mes copines alsaciennes avaient des enfants soit très grands soit mêmes pas en projet… Dans cette région qui était pourtant la mienne, je ne connaissais pas de « comme moi » avec un enfant en bas âge.
Où est-ce qu’on trouve des mères au foyer quand on ne va ni à l’école ni à la crèche ?
Il y a un siècle ça aurait été beaucoup plus simple. Je serais allée au lavoir le jeudi matin avec ma lessive et j’y aurais trouvé toutes les mamans du village en train de battre leur linge en papotant et en s’échangeant des conseils. J’aurais probablement choppé une pleurésie mais qu’importe, j’aurais toussé avec des copines…
Sauf que je suis passée au lavoir de mon village un jeudi matin et tenez-vous bien, il avait tout simplement disparu ! Comment j’étais supposée m’intégrer, moi ? Hein ? Tout se perd, c’est pas croyable.
Plus sérieusement – ou pas – j’avais passé ma grossesse et les siestes du petit félin à regarder Netflix. J’avais dévoré en pleurant The Letdown et Working Moms parce que, honnêtement, je me reconnaissais beaucoup dans cette ambiance d’amour inconditionnel pour mon enfant mêlé d’intense déception à l’égard de l’Univers.
Or dans ces séries, elles ont des « mum groups » où elles peuvent parler avec d’autres jeunes mamans, échanger des astuces et faire des balades en poussette. Ma tante qui vit au Danemark m’avait raconté que c’était monnaie courante là-bas et que ça pouvait être très bénéfique. Moi aussi je voulais un mum group.
Je me suis rappelé une discussion avec une copine peu après la naissance du Jag, qui me parlais des réunions LLL auxquelles elle était allée à reculons et qu’elle ne lâchait plus depuis. Je me suis rappelée de ma copine Steph qui avait trouvé un réconfort immense là-bas au point de devenir animatrice.
« Le soutien de mère à mère »
J’ai donc réprimé ma timidité à coup de désespoir et me suis pointée à une des réunions animées par Florence. J’y ai trouvé énormément de réconfort.
Pour moi, ces réunions ont été une bulle d’oxygène. Un endroit où :
- Les autres femmes allaitent aussi et ne me regardent pas de travers quand bébé tête tout le temps ;
- Il y en a de beaucoup plus hippies que moi et d’autres beaucoup moins ;
- On ne juge pas ouvertement les autres, on fait preuve de bienveillance et d’empathie ;
- On ne me traite pas d’hystérique si je fonds en larmes parce que je suis à bout de forces ;
- Je peux échanger avec d’autres mamans des idées, des conseils, des lectures et nos fails sur l’éducation positive ;
- J’apprends plein de trucs qui me sauveront prochainement la mise ;
- Il y a aussi des papas, parfois – même un papa Puma ;
- Je peux profiter de l’expérience de dix femmes comme de mille, parce que non seulement on échange toutes ensembles mais en plus Florence est une excellente animatrice qui s’est beaucoup formée à ce qui se fait ici et ailleurs ;
- Même si je viens avec mon enfant, c’est un moment pour moi ;
- Mon enfant rencontre d’autres enfants – d’ailleurs on les laisse entre eux à portée de regard et ils s’amusent très bien ;
- On peut avoir de très très grands fous rires ;
- J’ai réussi à réprimer ma timidité vraiment très fort au point d’échanger des numéros de téléphones et de me faire de vraies copines.
Bref, ça a été une expérience géniale et au final c’est probablement ce qui m’a permis de tenir le coup dans les moments les plus difficiles. Au final j’ai rencontré d’autres mamans dont les bébés souffraient de RGO et autres pathologies similaires, avec qui j’ai pu discuter, échanger. On s’est rassurées, réconfortées – les échanges de textos pendant la tétée de 3h du matin comptent pour beaucoup – ramenées à la raison quand on se disait que tout était de * Nostre Faute à Nous Austres Mères Insdignes *… Bref ça nous a apporté le soutien dont nous avions cruellement besoin et ça a créé des liens très forts.

Mais un jour ça s’est arrêté. Florence a aussi une famille à elle et il s’est trouvé que sa famille a eu beaucoup plus besoin d’elle que nous. Alors elle a dû mettre le groupe en pause pour pouvoir se consacrer à ce qui était prioritaire. Après un dernier moment de partage très émouvant, nos réunions ont donc pris fin.
‘De Letdown, gell !
Après quelques mois sans se voir, des mamans du groupe se sont mises d’accord pour dire que ça manquait quand même beaucoup et qu’elles en avaient bien besoin.
Alors elles se sont mises en quête d’une solution et comme ça ferait un peu trop de monde pour se revoir dans les salons des unes et des autres, elles ont décidé de créer leur propre groupe pas loin de chez nous, dans une salle communale.
Or ce groupe devrait bientôt pouvoir démarrer ses premières réunions.
Pour accueillir tous les parents, avec ou sans allaitement, hippies ou pas, qui s’intéressent un peu à l’éducation bienveillante et qui auraient envie ou besoin de se poser cinq minutes au lavoir.
Je vais pouvoir retrouver mon mum group et ma bulle d’oxygène.
Yeah. Y aura peut-être des comme moi.
Peut-être même des comme vous.
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