Cet article fait partie d’une trilogie sur les fausses couches.
Il parle de moi, de ce que j’ai vécu. Il ne présume ni de ce qu’une autre femme peut vivre, ni de ce qu’elle peut ressentir.
Vous n’êtes pas obligé.e de le lire, ni de vous sentir concerné.e.
Le contenu pourrait choquer.
La modération des commentaires sera aussi souple et bienveillante qu’une poutre IPN de six mètres en liberté.
Après mon accouchement, il a fallu choisir une contraception.
Plus de stérilet puisque je ne suis pas équipée pour la pose d’une antenne, plus d’anneau car incompatible avec l’allaitement, plus d’implant parce que j’ai assez de cicatrices dans le bras à cause des précédents et qu’on voudrait plutôt des enfants rapprochés.
Mais pas trop rapprochés alors pilule, quand même. Alors que je déteste prendre la pilule.
J’ai une appli, j’ai une peur panique des oublis, je vérifie toujours ma plaquette avant un rapport, je laisse une grosse marge les deux fois où j’ai omis de la prendre. La grossesses non désirée c’est ma hantise, j’ai passé près de vingt ans à l’éviter.
Le Jaguarondi a quatre mois, on a déménagé en Alsace quand elle en avait deux, elle montre les premiers signes d’un RGO bien tapé mais on nous dit qu’on se fait des idées alors on pense juste qu’on est des mauvais parents. Je suis de mauvaise humeur parce que je dors pas, je suis épuisée, j’ai perdu mon poids de grossesse plus huit kilos, d’ailleurs j’ai eu la crève de ma vie et j’ai du prendre de l’Augmentin, depuis je suis nauséeuse, mais je suis sous pilule et je fais très, très attention, en plus on a rarement le temps ou l’énergie de se frotter alors je peux pas être enceinte.
Le Jaguarondi a six mois et je galère avec ma lactation, j’ai mal aux seins comme au tout début, pourtant elle a une bonne succion, des fois pendant la tétée je sens une colère qui monte ou de la tristesse, je comprends pas, pourtant je l’aime, est-ce que c’est cette histoire de RGO qu’on vient de diagnostiquer, qui me tend comme ça ? Alors que ça va mieux ? À cinq heures du matin je gamberge, ça me travaille. Ce n’est pas possible et pourtant c’est une évidence. Je me lève jusqu’à la salle de bain, fouille l’armoire à pharmacie.
Evidemment le test est positif.
Merde.
J’ai un bébé de six mois qui ne dort pas la nuit, j’ai été césarisée et on m’a dit « pas avant un an, surtout ». Je ne vais pas pouvoir le garder mais ce n’est pas plus mal, je le sens pas du tout. Je n’en veux pas, M. Puma n’est pas franchement enthousiaste non plus, même s’il estime que c’est à moi d’avoir le dernier mot et qu’il fera avec.
Je vais chez le médecin qui me dit trois fois « Félicitations ! » alors que je lui dis que je ne le sens pas. Ma pote me passe des vêtements de bébé, mais si tu verras ça ira, allez c’est comme ça et puis c’est tout hein, t’es mariée tu vas pas le faire sauter, ce serait dommage.
Le médecin a fait une petite écho et m’a dit « six semaines ». Je calcule combien de temps il me reste pour décider si je le garde ou pas. Je ne sais pas à qui je vais bien pouvoir en parler, du coup.
On m’avait dit de surtout pas tomber enceinte avant un an, que ce serait très très grave. Mais maintenant que je suis enceinte il n’y a aucun problème pour le garder. À présenter les choses de cette façon, on se fout de nous, clairement. Je sais que la réalité est entre les deux mais quand même. L’illusion de la liberté, là. L’information tronquée, orientée. Insincère.
On va chez ma gynéco. Avant l’examen, elle me dit qu’avec des règles abondantes comme je le décris c’est pas possible. Je lui réponds que ce serait pas plus mal, elle comprend très bien. Et pourtant à l’écho il y a bien quelque chose, elle n’en revient pas. Par contre, les dates ne collent pas. Cet embryon-là a six semaines depuis un moment, il n’ira pas plus loin. Je respire, soulagée.
Une ordonnance de Rhophylac pour le jour J, des analgésiques et on se reverra dans quelques jours si ça ne passe pas pour envisager une intervention.
Une semaine après je commence à saigner un peu. J’appelle la sage-femme du village et je rencontre Céline, la douceur même, qui s’occupe de l’injection, me rassure, est adorable. C’est elle qui fera toutes les injections, par la suite. Bébé ou pas bébé.
Je verse quand même une larme parce que tout ça c’était beaucoup d’émotions, je suis tellement fatiguée, j’avais pas besoin de ça en plus du reste. Mais je suis soulagée.
Concrètement ? Avec les antalgiques j’ai beaucoup moins mal que la dernière fois. Par contre je saigne plus longtemps, je perds beaucoup de caillots.
Et puis une fois, sous la douche, je sens quelque chose passer ma vulve, comme un mini tampon, même pas. Sur la grille de la baignoire il y a une petite masse de chair et de sang, une bille minuscule mais trop grande pour passer à travers les trous. Le chorion, me dira Iznogoud. (L’Être de Lumière de poche me chuchote que oui mais non en fait on dit « œuf ». C’est peut-être un détail pour vous mais pour elle ça veut dire beaucoup.)
Ah.
Je me souviens dans un flash des mots de Steph, il y a quinze ans. Elle avait fait une fausse couche précoce dans des circonstances similaires. « Ils ne m’avaient pas prévenue que je le sentirais passer ». J’avais cru sur l’instant qu’elle avait bien douillé. Ah mais nooooon, elle l’a « senti passer ». Aaaaaaah. Aaaaaah ouiiiiiii. Je comprends vite mais faut qu’on m’explique longtemps, une allégorie.
Bon. Je fais quoi ?
J’ai pas plus que ça envie de regarder, ceci dit je ne suis pas seule à vivre ici et je ne vais pas le laisser au fond de la baignoire en attendant le jubilé alors même que je gueule après monsieur quand il oublie de rincer ses poils. Je respire donc un grand coup, attrape le machin en détournant le regard et le jette vingt centimètres plus loin dans la poubelle de la salle de bain. À ma grande surprise, je ne vomis point.
Je passe vite à autre chose parce que je n’ai pas le temps, trop de trucs à gérer. Un petit pincement parce que je commençait à penser à la suite mais pas si tôt alors, bon, ça va. Mais une petite voix pas très sympa résonne.
« Tu sais, ça fait quand même deux. Peut-être que le Jaguarondi c’était ton petit miracle et que ce sera tout. Peut-être que t’en auras pas d’autre. Peut-être. »
Merci pour ces trois articles. Sept ans et deux enfants plus tard ça reste toujours aussi sensible pour moi. J’aurais voulu savoir à l’époque que j’avais le droit d’être effondrée et de ne pas acquiescer en souriant aux « ça va t’en a déjà un ».
Mais surtout merci de raconter en détail comment ça se passe concrètement. C’est la première fois que je le lis, personne ne m’avait prévenue non plus que j’allais devoir tirer la chasse sur ce qui était bien plus pour moi qu’un amas de cellules défectueuses.
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