Cet article fait partie d’une trilogie sur les fausses couches.
Il parle de moi, de ce que j’ai vécu. Il ne présume ni de ce qu’une autre femme peut vivre, ni de ce qu’elle peut ressentir.
Vous n’êtes pas obligé.e de le lire, ni de vous sentir concerné.e.
Le contenu pourrait choquer.
La modération des commentaires sera aussi souple et bienveillante qu’une poutre IPN de six mètres en liberté.
C’est l’été, je suis enceinte de 22 jours. Je le sais depuis une semaine.
Au téléphone, la sage-femme m’a dit que c’était un petit taux, je n’ai pas trop compris pourquoi, un petit taux c’est quoi ? Quand j’ai dit que j’avais un peu mal au ventre elle m’a expliqué que ça pouvait arriver, de prendre du Spasfon si ça devenait difficile.
Je sors du Nîmes-Paris à 11h, j’en ai déjà pris trois fois et j’ai le front en sueur parce que j’ai très, très mal. Je marche pour rejoindre ma meilleure amie qui doit essayer sa robe de mariée, je suis là pour l’après-midi et ce soir M. Puma me rejoindra avec les valises pour partir en Normandie. Il fait très, très chaud. J’ai mal, je n’arrive plus à me concentrer. Je m’installe à une terrasse mais au bout de quelques instants je vais aux toilettes, fiévreuse. Je m’assois, baisse les yeux. Il y a du sang partout dans ma culotte. Énormément de sang.
Non non non non non non pas ça pas ça pas ça non.
Si.
Je retiens mes larmes, me nettoie comme je peux avec du papier, je sors en passant devant le serveur qui fronce les sourcils et là, debout sur le trottoir, je sens que ça continue à couler. Je préviens Gazou que je ne la rejoindrai pas au magasin, que je suis en train de faire une fausse couche.
Je suis à 600km de chez moi sans valise, en plein mois de juillet, en jean et débardeur, sans point de chute et dans environ une minute trente j’aurai les yeux très gonflés et du sang partout entre les jambes.
Respire.
Loue-t-on une chambre d’hôtel pour ça ? Peut-on se faire livrer une culotte propre et un jean par coursier en 2017 ? Sûrement mais pas avec ma carte bleue à moi.
Je réalise que je suis miraculeusement à deux cent mètres de chez Frangine, qui ne sait même pas que je suis à Paris. Je l’appelle, lui explique pêle-mêle que je suis là, que je fais une fausse couche, que s’il te plaît laisse-moi parler, non pas l’hôpital, ce n’est qu’une semaine de retard mais s’il te plaît, j’ai du sang partout et je suis dans la foule, il faut juste, concrètement, que je me lave. Oui, viens les enfants sont à la maison, t’en fais pas ça arrive, ça nous arrive à toutes.
C’est la nounou qui m’ouvre et me prendrait presque dans les bras, je la remercie et je fonce dans la douche habillée.
Beaucoup, beaucoup de sang, d’un coup. Des caillots, des débris, je ne sais pas trop quoi mais ça dure quelques minutes sous l’eau fraîche, au milieu des larmes.
Je n’avais pas envisagé que ça s’arrête. Oui, oui, je sais, c’est ‘possible’. Mais pas ‘vraiment’, hein ? C’est un chapitre dans le livre sur la grossesse mais pas un chapitre de ma vie à moi, non.
Et si.
Je mets un tampon – une fois pour toutes oui, on peut -, je pioche dans l’armoire de Frangine, confie mes vêtements trempés à la machine à laver. J’appelle ma sage-femme de l’époque qui, unique fois dans tous nos échanges, aura une attitude parfaite.
Elle le craignait mais croisait les doigts pour se tromper, c’était un tout petit taux. Ce n’est pas ma faute, c’est un embryon non viable, le numéro perdant de la loterie génétique, ça arrive une fois sur quatre même si la plupart du temps on ne s’en rend pas compte, rien de ce que j’aurais pu faire n’aurait pu le causer, ça ne veut rien dire pour les grossesses futures, je ne suis pas en danger, c’est à gérer physiquement comme des règles, dormez, pleurez si ça vous fait du bien, ça va aller. Il faudra faire un dosage dans quelques jours, elle sera en vacances, je verrai avec mon médecin.
Je vais me coucher avec un mouchoir, je dors des heures.
Frangine est là à mon réveil et me prend dans ses bras comme quand j’avais six ans. Elle ne savait pas que je voulais un bébé, maintenant oui. Elle aussi une fois, des règles plus douloureuses et plus fortes, avec un peu de retard, ça arrive, c’est pas grave, ça va aller promis.
Je passe la soirée chez Gazou, l’ambiance est pas ultra fun mais ça fait du bien de la voir. M. Puma me rejoint et je pleure sur le palier, me confonds en excuses, je suis désolée, je n’ai pas réussi. Il me dit que ça n’a aucun sens. C’est vrai. Que ça arrive souvent. C’est vrai. Qu’il n’y a pas de quoi s’excuser ou avoir honte. C’EST VRAI.
À cet instant je me rappelle les mots de la psy du centre d’addicto. Et je décide que je vais pleurer un bon coup parce que oui, je suis très déçue et triste. Mais que je n’aurais pas honte, que je ne me cacherai pas et que les femmes de mon entourage, si ça leur arrivait, sauraient que Thirty en avait fait une aussi.
J’ai pris le week-end pour pleurer, y penser, laisser partir l’idée de ce bébé de printemps. Ce qui m’a fait beaucoup de bien. C’était pas drôle mais c’était ‘normal’, j’ai réussi à accepter que tout ne se passait pas comme je l’aurais souhaité.
J’ai annulé mon écho de datation, la dame m’a dit « Vous verrez, ce sera encore plus beau la prochaine fois » et j’ai souri.
J’en ai parlé à mes copines, à l’occasion. J’ai dit que j’étais déçue, que c’était un moment pas drôle mais que la vie continuait et que bon, heureusement que j’étais bien entourée, ce sera pour la prochaine fois.
Physiquement, j’étais épuisée, essoufflée, pâle : un peu plus anémiée que d’habitude, ce qui faisait un peu beaucoup. J’ai pris cinq kilos en quelques jours et il paraît que c’est les hormones et la fatigue, que ça fait manger, stocker. Je sais pas si c’est vrai mais j’en serais pas surprise. Une amie m’a dit que c’était parce que je l’avais très mal vécu, la preuve j’en avais parlé, c’était pas normal d’en parler.
Remettez-vous de vos fausses couches, n’en faites pas toute une histoire, « ça compte pas vraiment ». Et quand vous serez bien remises, merci de vous montrer traumatisées comme de juste en vous soustrayant aux regards des autres. Parlez-en mais n’en parlez pas. Ne le vivez pas comme vous le sentez et soyez là où on vous attend, quoi que ça vous fasse.
Comme on vivait dans un désert médical, c’est le médecin de la Légion qui m’a fait mon ordonnance de Bêta-Hcg. En me disant que nous aussi ça nous est arrivé et que ma femme était à nouveau enceinte le mois suivant, tu vois ça veut rien dire, t’en fais pas, t’as le droit d’être triste. Je sais, du sang partout, je me rappelle nous c’était en pleine nuit, c’est très impressionnant, mais ça sera bientôt du passé je n’en doute pas, n’attendez pas pour réessayer, y a pas de raison au contraire.
Neuf mois et quelques jours plus tard, j’accouchais du Jaguarondi.
Durant la grossesse, j’ai énormément flippé. La fausse couche n’était plus une chose qui n’arrivait qu’aux autres. C’était possible. Et même si je ne m’attachais pas encore, quand on vomit ses tripes douze fois par jour, on espère un peu que ce n’est pas à fonds perdus.
Si j’en avais fait une deuxième, je ne suis pas sûre que j’aurais réessayé. L’hyperémèse, c’est éventuellement supportable seulement à condition d’avoir le bébé à la fin.
Merci. Juste merci.
Je crois que j’avais besoin de lire ça et peut-être encore plus de quelqu’un comme vous. Alors merci
Ps: je ne suis pas la-dite Pauline. Et courage (et encore merci) pour les 2 prochains articles
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Merci pour ce partage, C’est peut-être un peu tordu, mais ça fait du bien de savoir qu’on est pas seule… alors même que très peu de gens savent que j’ai fait une fausse-couche et encore moins qu’en fait j’en ai fait deux car je ne veux pas en parler.
Car j’ai fait deux fausses-couches, coup sur coup, avant de tomber enceinte une troisième fois. Ca a été les trois mois les plus longs de ma vie, je comptais les jours, les heures presque, avant la fin du premier trimestre. Avec la crainte que je n’aurai jamais d’enfants. Pour moi, la 3e a été la bonne, ouf.
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