Aujourd’hui c’est @_Jeanne_A__ qui prend la plume pour parler fausse couche avant, pendant et après.
On ne dit pas assez tout ce qui se joue après. Longtemps après.
Cette abréviation, je la déteste, je la hais. J’essaie de l’oublier, de ne jamais la croiser. C’est pourtant difficile : c’est l’une des premières choses que l’on voit, lorsque l’on ouvre le dossier vert qui doit désormais me suivre partout. Celui que la maternité m’a donné le jour de mon inscription, et où je suis priée de ranger tous mes examens cliniques et de suivi. Celui que je présente donc désormais en début de consultation, à chaque soignant chargé de m’accompagner sur cette grossesse.
G.3.P.2.
Les lettres sont écrites en noir, les chiffres en rouge, pour que l’œil s’y arrête le plus rapidement possible. Attention, Grossesse 3, Parité 2. C’est sa troisième grossesse, mais l’une des deux premières n’a pas donné naissance à un enfant. Je sais que cette information doit permettre aux soignants de me prendre au mieux en charge. D’ailleurs, si elle n’était pas écrite, là, en évidence, ce serait probablement, et quand même, l’une des premières choses que je leur dirais : j’ai déjà un enfant, un bel enfant de bientôt deux ans, et cette grossesse n’est pas la première que j’ai eu depuis sa naissance. Ce n’est pas la première fois que nous essayons de lui fabriquer un petit frère ou une petite sœur. Évidemment, ça ne me gêne pas, qu’ils le sachent. Mais j’aurais préféré être la seule à pouvoir leur dire, de la manière que je veux. Que ce ne soit pas quelque chose d’aussi banal, qu’une abréviation très simple existe et la résume. Et puis, aussi, peut-être parfois pouvoir choisir de faire comme si ça n’était pas arrivé.
Avant
Printemps 2021. C. un peu plus d’un an, et après des mois de tâtonnement sur la contraception à adopter – les effets secondaires de la pilule en continu ne m’allaient pas, le stérilet hormonal a bougé, celui en cuivre me fait peur, je ne veux plus saigner comme ça, bon aller on n’a qu’à faire aller avec les préservatifs, pour quelques mois – ça y est. Si je tombe enceinte maintenant, l’écart entre les deux enfants sera suffisant, le deuxième ne naîtra pas à Noël ou à Nouvel An, la fenêtre est parfaite. On arrête, en étant plus ou moins persuadés que tout va se passer comme la première fois, sans accrocs.
Première surprise, je tombe enceinte dès le premier mois d’essai. Je n’y croyais pourtant pas. D’ailleurs, ce test, je le fais dans les toilettes de mon boulot, persuadée qu’il sera négatif, mais que je vais pouvoir me faire à l’idée et éviter d’être triste et déconcentrée si mes règles arrivent au plus mauvais moment de ma journée de travail. J’appelle mon mari, je lui dit, on se réjouit. On repense à nos premiers jours avec C., on se dit qu’on aura bientôt de nouveau un petit bébé. On fête ça le soir. On en parle dès les premiers jours.
Tous ceux à qui on le dit, des amis venus dormir chez nous, notre famille proche avec qui on doit dîner quelques jours plus tard, nous répondent “on s’en doutait !”. Je suis enceinte de 4 SA (semaines d’aménorrhée), l’embryon doit avoir dans les deux semaines et demie, mais apparemment mon ventre s’est déjà gonflé sous l’effet des hormones.
Pendant deux semaines, je me sens pleine d’énergie, je me dis que c’est génial, que je vais pouvoir continuer à vivre comme avant, tout mener de front, choisir quand j’annoncerai la nouvelle à mon entourage professionnel. Manqué. À 6 SA, les nausées arrivent, et avec elles, la fatigue. Mon premier premier trimestre avait été difficile, mais je dormais dès que je n’étais pas au travail. Là, il y a un petit enfant qui a besoin de moi. Je suis épuisée, j’attrape le premier virus qui passe, il me met K.O pendant huit jours. Ma sage-femme m’arrête et me conseille le repos. C’est déjà ça, mais ça ne suffit pas. Mon fils attrape une angine, je m’en occupe la nuit et je dors toute la journée. C’est très dur. J’ai l’impression de ne pas pouvoir être là pour lui, ou de faire à peine le minimum vital. Les soirs, je me couche en disant à mon mari “tu imagines, si je fais tout ça pour rien ?”. Lui ne comprend pas trop pourquoi je lui dis ça, et moi non plus en fait.
Il ne s’est rien passé de particulier pour que je m’inquiète, et quelque part, je n’ai pas vraiment non plus l’impression que “ça pourrait m’arriver”. Mais comme je finis par l’écrire à un ami proche, qui me trouve peu optimiste : pour C., rapidement, j’ai eu le sentiment que ça allait le faire. J’avais des moments de flips, mais il y avait des moments où c’était comme si une petite voix me disait que c’était bon. Là, je n’ai jamais ressenti cette certitude.
Pendant
A 8 SA, lorsqu’elle m’arrête, ma sage-femme me prescrit une écho de datation. Il faut aller dans un cabinet de radiologie, les gynécologues en ville comme au CHU ne font pas de datation pour des nouvelles patientes. Je fais la grimace, j’y ai un mauvais souvenir de l’écho de contrôle de la pose de mon stérilet, mais j’ai envie de voir “numéro 2”. Le jour du rendez-vous, je suis ultra tendue. Persuadée qu’on va m’annoncer une mauvaise nouvelle, ou qu’il y aura trois embryons. On nous installe dans la salle, il faut déboutonner son pantalon et attendre l’échographiste. Il arrive, “c’est votre premier?”, écoute d’une oreille distraite. Râle en posant sa sonde sur mon ventre. Pffff c’est tout petit, c’est pénible à mesurer. Je pense qu’il hésite à me proposer une échographie par voie intra-vaginale, il cherche la sonde du regard, elle n’est pas dans cette pièce. Tant pis, il mesure. 22 mm, 9 SA + 1 jour, ça correspond aux dates de mes dernières règles. Parfait, merci madame. Je lui demande si on ne regarde pas un peu plus l’embryon, si on n’écoute pas son cœur. “A ce terme là, de toute façon, on ne voit quasiment rien”. “Mais tout va bien ? Enfin, ce que vous pouvez voir ?”. “Oui oui”. Il range son matériel, nous souhaite une bonne continuation. Bon. C’était court, mais ils ne sont pas trois, et le radiologue nous a dit que ça allait. On essaie de se réjouir avec ce qu’on a. Je ne sais pas encore que cette consultation, je vais la rejouer des dizaines de fois dans les mois qui vont suivre.
Le lendemain, je prends rendez-vous chez une nouvelle sage-femme, l’ancienne vient tout juste de partir en congé maternité. Je lui montre les clichés “ah, bon, c’est bien”. Je lui demande si elle veut faire la déclaration de grossesse ? Ma soignante habituelle me disait avoir besoin de la datation pour la faire. “Oh, je préfère attendre la T1 (l’échographie du premier trimestre), ça évite la paperasse”. Je lui parle de mes difficultés, je trouve ce premier trimestre plus difficile que la dernière fois. “Ah, c’est les symptômes classiques. C’est pénible, il faut attendre.” Même réponse pour mes angoisses. “On ne sait jamais avant la fin du premier trimestre, c’est pénible oui”. Il faut attendre. Bon. Il ne me reste que deux semaines et demi avant la T1. Je me dis qu’on y est presque. En me basant sur le calendrier des symptômes de ma première grossesse, je compte les jours qu’il me reste avant que les nausées ne se calment. Si tout se passe comme la première fois, dans 7 à 10 jours, je devrais commencer à me sentir mieux.
Un peu plus d’une semaine plus tard, nous sommes dimanche soir, je suis aux toilettes. Ma respiration s’arrête. Le PQ est, légèrement, rose. Je prends mon téléphone. “Grossesse pertes rosées”. Google m’indique qu’un examen gynécologique ou un rapport sexuel peuvent provoquer des pertes légères, le col de l’utérus est très irrigué, il ne faut pas paniquer. Je re-regarde mon papier toilette. C’est très clair. Je suis moins nauséeuse depuis la veille, mais le calendrier colle à ma première grossesse. Je prends une grande inspiration, je me dis qu’il faut attendre le lendemain avant de s’inquiéter. Je préviens mon mari. “Si ça se trouve, c’est foutu”. Il essaie de me rassurer. Le lendemain matin, rien à signaler. RAS, plus de rose sur le papier toilette.
Je reprends ma vie. Il faut faire des courses. Nous partons en vacances dans six jours, en Bretagne, où j’ai galéré pour trouver un créneau horaire pour faire la fameuse T1, qui doit être réalisée sur certaines dates. Je prépare le pic-nique du trajet, je prends deux fois trop de conneries au passage. Du chocolat, des bonbons. Je rentre chez moi, et aux toilettes, ma respiration s’arrête de nouveau. Et cette fois-ci, mon coeur avec. Le PQ n’est plus rosé, il est définitivement rose. C’est beaucoup plus net que la veille. Mécaniquement, je commence à ranger les courses. Qu’est-ce que je suis supposée faire ? Il est midi trente, la nounou garde C. jusqu’à 17h30. Je n’ai pas le numéro de la dernière sage-femme que j’ai vue, et je crois qu’elle est en vacances. Je trouve le numéro des urgences gynécologiques du CHU, c’est le même que celui de la maternité. J’explique la situation, je demande quand je dois m’inquiéter, s’il ne faudrait pas que je vienne pour une échographie. Au téléphone, une voix douce me dit que je peux venir dès maintenant, si je peux. Je prends dans mon sac de quoi grignoter, mon chargeur de téléphone, mes derniers examens médicaux, et j’y vais.
Il y a quelque chose de surréaliste à faire toute seule ce trajet. Les panneaux d’urgences gynécologiques mènent au même endroit que ceux qui indiquent la maternité. C’est le même service. La dernière fois que je suis venue là, il était 5 heures du matin, j’étais sur le siège passager, enceinte jusqu’aux yeux, et je venais de perdre les eaux. Cette fois-ci, nous sommes fin juillet, le soleil est éclatant, et je suis seule. J’essaie de prévenir par texto mon conjoint sans être trop inquiétante. Je me présente à l’accueil, et j’attends. Pas très longtemps, trente, quarante minutes. Assez pour voir plusieurs femmes, visiblement sur le point d’accoucher, passer devant moi. Dans quelques heures, elles auront un bébé. Et moi ? Je serre mon dossier cartonné, si fin, contre moi. Je pense aux photos de l’échographie. Tout n’est peut-être pas perdu. Tout à l’heure, je vais peut-être ressortir d’ici en étant rassurée. Qui sait ?
Une sage-femme vient me chercher. Elle m’amène dans un petit bureau, avec une table d’examen, me présente une interne, qui me sourit timidement. Elle prends mon dossier, le regarde, me pose quelques questions. Ma tension est élevée, “on la reprendra tout à l’heure” me dit-elle, “là, vous êtes un peu stressée”. Elle prépare la sonde, “on va prendre la sonde interne, si vous êtes d’accord”. Oui oui, moi je suis d’accord pour tout. L’appareil ne démarre pas. Il faut changer de salle. Elle me propose un drap, je prends mes affaires comme je peux, on y va. Il y a une urgence, elle revient. L’interne et moi nous retrouvons seule. Je vois bien qu’elle n’est vraiment pas à l’aise. Les minutes, comme l’air autour de moi, ont pris une épaisseur atroce. Alors, je lui pose quelques questions, pour essayer de penser à autre chose. C’est son premier jour. Je lui dis que j’espère que ça ira.
La sage-femme revient, et enfin, on regarde. Elle me montre l’écran, “voilà l’embryon”. Je ne suis pas sûre d’avoir envie de regarder, pas tout de suite. Je n’ose plus bouger, j’attends qu’elle me dise qu’elle voit les battements de cœur. Mais rien ne vient. Au bout de quelques dizaines de secondes, elle pose sa main sur ma cuisse. J’ai compris. “Je suis désolée, je ne trouve pas le cœur”. Je pleure. C’est en train de m’arriver.
Je demande quelle taille fait l’embryon “19 mm”. C’est vraiment foutu. Elle me dit qu’elle va chercher un gynécologue, pour être bien sûre, mais je n’ai déjà plus aucun espoir. Je dis à l’interne que je suis désolée, qu’elle commence comme ça son stage, à me regarder pleurer.
La gynécologue arrive, évidemment elle me confirme le diagnostic. La grossesse s’est arrêtée. Je lui parle de la datation, des 22 mm qui en sont devenus 19. “ça veut dire que ça s’est arrêté juste après la datation c’est ça ?”. “Surement, oui, dans les jours suivants”.
Je me rhabille, la gynécologue me tend des mouchoirs. Elle me dit que c’est malheureusement très courant, que je n’y suis pour rien. Qu’on ne saura sûrement jamais pourquoi exactement, mais que cela ne veut rien dire sur ma fertilité, sur mes chances d’avoir un enfant. Après quelques minutes, je lui demande : qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? On peut attendre, voir si l’embryon se décroche tout seul. Je saigne un peu parce qu’il a commencé à se décoller, mais on ne peut pas savoir quand ça va arriver. Je peux aussi prendre un médicament, pour provoquer des contractions, et attendre que mon corps l’évacue. Ou on peut programmer un curetage, sous anesthésie locale ou générale. Elle répond à toutes mes questions, avec une infinie douceur. Oui, les deux dernières options ressemblent à une IVG médicamenteuse et une IVG par aspiration. Pour les IVG, on prend un médicament qui arrête le cœur de l’embryon avant, mais c’est la principale différence.
Deux ans auparavant, j’ai accompagné une amie dans son IVG médicamenteuse. Je me suis jurée que je ne vivrais jamais cela. Et puis, je pense à ces 22 mm, ou 19, qu’il va falloir évacuer, avec tout ce qu’il peut y avoir autour d’un embryon qui se développe, d’un placenta qui essaie de se construire. Je ne veux pas vivre cela dans mes toilettes ou dans ma douche, je ne veux pas les voir et je ne veux pas avoir à tirer la chasse d’eau. Je demande un curetage. Elle me dit qu’elle va tout faire pour que je sois vite programmée. Elle revient.
Pendant l’heure et demi qui suit, on me laisse dans la salle, et entre deux visites – anesthésiste, infirmier pour les prélèvements sanguins, retour de la gynécologue – je peux utiliser le téléphone. “Je suis désolée”, c’est presque la seule chose que j’arrive à dire à mon mari “je suis tellement désolée”. Ma mère, quand elle décroche, comprend immédiatement. Il y a une semaine, je lui ai confié que je n’avais “pas de bon pressentiment”. La dernière fois qu’une femme lui a dit ça, c’était sa meilleure amie, il y a 20 ans. Deux jours plus tard, sa fausse-couche était déclarée. Je ne sais plus ce que l’on se dit d’autre. Je pleure, je raccroche quand la visite suivante arrive.
Je sors en fin d’après-midi, sonnée. Mon dossier a triplé de volume, j’ai des prescriptions d’antalgiques, des consignes pour les trois prochains jours. Nous sommes lundi, je passe au bloc jeudi. Trois jours qui passent dans le brouillard. Je m’accroche à mon mari et à mon fils. Je me dis que c’est nul, mais que ça arrive. Que ça pourrait être pire. Je n’ai pas dépassé le premier trimestre. Ce n’est pas ma première grossesse. Ça n’a pas été difficile de tomber enceinte.
Je vis dans la crainte que l’embryon se détache tout seul, de devoir traverser ça seule ou presque dans ma salle de bain. Heureusement, ça n’arrive pas. Jeudi est enfin là, mon compagnon me dépose à l’hôpital. Il n’a pas le droit de m’accompagner, pandémie oblige, alors je monte seule. On m’a donné un médicament, qui doit lancer des contractions et assouplir mon col, à prendre avant d’arriver. J’en reprends un deuxième, et j’attends d’être emmenée au bloc. Tout ceci est un peu long, mais arrive enfin le moment où on va m’endormir, où je sais que lorsque je me réveillerai, ce sera fini, j’aurais le droit de passer à autre chose.
Après
Je suis entrée à 7 heures, je sors un peu avant 16 heures. L’anesthésie s’est bien passé, je n’ai pas mal, on m’a donné des antalgiques. On me prévient que je vais saigner pendant quelques jours encore. Et puis, que j’aurais une période de latence, et qu’un jour, mon cycle menstruel va se relancer. J’aurais des “petites règles”, et après seulement mes ovulations reprendront. J’ai pu poser beaucoup de questions, on a pris le temps de me répondre. Je me dis que dans mon malheur, j’ai de la chance. Depuis l’annonce de la fausse-couche, je ne suis tombée que sur des soignants adorables, qui ont tous pris le temps de m’accompagner et de m’aider.
Nous partons en vacances deux jours plus tard. Je bois des cocktails à la terrasse du village vacances, je parle avec les autres mères. L’immense majorité des femmes à qui je parle ont vécu au moins une fausse couche. Je me dis, okay, c’est nul, mais on s’en remet.
D’ailleurs, je sais que je vais m’en remettre. J’aimerais juste que ce soit plus rapide que ce que ça ne l’est. Il y a toutes les petites choses dont il faut faire son deuil. Il n’y aura pas de bébé au printemps. Nos deux enfants n’auront pas 22 mois d’écart. Finalement, pas besoin d’une baby-sitter pour le jour de la T1, il faut annuler le rendez-vous. Les suivants aussi, d’ailleurs. Des petits coups de poignards, qui prennent par surprise, au détour d’une réflexion ou d’un souvenir.
On me propose plusieurs fois d’organiser une petite cérémonie, comme un enterrement. Je refuse. Je n’ai pas l’impression de faire le deuil d’une personne. Ce n’est pas un bébé que j’ai perdu – d’ailleurs, j’ai horreur qu’on me dise cela – mais plutôt un projet de bébé. Il y avait une petite graine, quelque chose qui avait commencé à pousser, qui aurait pu devenir mon enfant… Mais non. Je pleure mes projets, mes espoirs. Toutes ces petites certitudes qui se sont effondrées. Non, je ne serai pas en congé maternité pour les vacances de Noël. Je ne serai pas « probablement » arrêtée à partir de la Toussaint. J’avais construit ma rentrée professionnelle autour de ma grossesse. Il faut composer autour de ces décisions prises autour de contraintes disparues, et avancer. D’ailleurs, assez vite finalement, il faut retourner travailler. Les premiers jours sont atroces. Je pleure dans les toilettes, au détour des couloirs. La dernière fois que j’étais à ce poste et que j’ai rempli cette mission, j’étais enceinte. Mes hormones font le grand huit. Après la naissance de mon fils, j’étais sous pilule en continu. Je n’ai jamais vraiment eu de règles de retour de couche, et je réalise que la Cézarette a probablement atténué mon post-partum. Parce que là, c’est n’importe quoi. Un syndrome pré-menstruel en 50 fois pire, 10 fois par jour.
Pendant les premiers jours qui ont suivi le curetage, j’ai passé des heures à chercher sur internet des informations sur la période de latence dont m’avait parlé la gynécologue. Mon système sanguin est sûrement encore plein de HCG, l’hormone de grossesse fabriquée par l’embryon, qui lance la grossesse et suspend le cycle menstruel (et les règles). Ce taux baisse peu à peu, et mon cycle ne reprendra que lorsqu’il sera à 0. Cela peut prendre “plusieurs semaines”. Généralement, “moins de 8”. c’est tout ce que je trouve. Car à part des posts sur des forums de fertilité, où des femmes dans ma situation sont à la recherche de témoignages, il n’y a pour ainsi dire rien. Deux à trois lignes, parfois, sur des plaquettes d’information sur l’IVG, et c’est tout. Je comprends bien qu’il ne soit pas primordial pour la recherche de savoir combien de temps cela prend à chaque femme, en fonction de son histoire, de la grossesse et du moment où elle s’est arrêtée. Mais cette incertitude me rend folle.
Je me sens complètement trahie par mon corps, qui n’a pas pu mener cette grossesse à son terme, et qui m’a surtout menti. Pendant plusieurs jours, presque deux semaines, j’ai cru que j’étais toujours enceinte. J’ai cru que je souffrais pour une bonne raison. Que je devais prendre mon mal en patience, que celà avait un sens. J’avais des nausées, les seins gonflés, j’étais fatiguée. J’ai découvert qu’aucune de ses sensations n’était une garantie de rien. L’embryon avait simplement lancé assez de HCG dans mon système sanguin pour que les symptômes persistent. Je me sentais bête, de ne pas avoir vraiment su, de ne pas avoir plus écouté mon intuition. Ces dix jours à croire que j’étais enceinte alors que je ne l’étais plus m’obsèdent et me dégoûtent. Je repense tout le temps à cette échographie de datation. A 9SA, on peut entendre le cœur. Aurait-on pu savoir plus tôt que ça n’allait pas ? Je ne saurai jamais si le cœur de l’embryon battait ce jour-là, si les choses avaient déjà commencé à se dégrader, si cette période où je n’ai pas su aurait pu ne pas exister.
Je sais que ces questions vont, avec le temps, perdre de l’importance. Qu’un jour, un nouveau chapitre s’ouvrira, je re-tomberai enceinte, et puis tout ça ne sera plus qu’un accident de parcours, qui se fera de plus en plus petit au milieu de tous mes autres souvenirs. Mais je ne sais pas quand. Et je n’en peux plus de nager dans l’incertitude. Quand et pourquoi la fausse-couche est arrivée, quand est-ce que j’aurais pu le savoir, quand est-ce que mon cycle recommencera, quand est-ce que je passerai à autre chose ? Je n’arrive pas à lâcher prise.
Quelques jours après ma reprise du travail, fin août, environ un mois après mon passage aux urgences obstétricales, a enfin lieu le fameux “reboot”. Sur le moment, je me sens encore plus conne. Au début du mois, les pertes consécutives au curetage s’étaient arrêtées deux jours, et avaient repris, pour une journée seulement. J’avais eu l’espoir qu’il pouvait s’agir de la reprise des cycles menstruels. Je m’étais, encore une fois, plantée. Et les dates ne laissaient pas de place au doute, ce n’était pas le cycle suivant, mais bien la reprise, qui arrivait en cette fin d’été.
Ces règles sont atroces. Elles ne durent que trois jours, c’est nettement moins que mon cycle habituel, mais elles sont abondantes comme jamais elles ne l’ont été dans ma vie. Je travaille en courant aux toilettes toutes les 30 minutes. Ma cup taille XL “j’ai déjà eu un enfant” déborde, la serviette a du mal à suivre. Je glisse à une collègue, “j’ai mes retours de couche, c’est affreux”. Elle ne comprend pas trop, parler de la fausse-couche la gêne je crois. Tant pis. Au moment où je n’en peux plus, et décide d’aller chez le médecin le lendemain, tout s’arrête d’un coup. Début d’une nouvelle période d’attente.
Plusieurs de mes collègues sont enceintes, de quatre mois et quelques, comme j’aurais dû l’être. Je passe les mois suivants à voir leur ventre s’arrondir. Mes hormones font toujours le yoyo, je pleure pour un rien. J’achète des tests d’ovulation, que je fais deux fois par jour. Je n’en ai jamais eu besoin pour tomber enceinte, mais je veux savoir où en est mon cycle. J’ai besoin de retrouver un sentiment de contrôle, ou du moins de certitude, de ce qui se trame dans mon utérus. Manque de pot, je découvre que ces petits bidules sont loin d’être une science exacte. Un petit smiley clignote, tu es peut-être fertile. Il s’affiche de manière constante ? Tu as de fortes chances de l’être. En fait, ces tests réagissent à deux hormones, et sont supposées permettre de suivre leur évolution. C’est une combinaison d’événements, une baisse puis une augmentation d’une des deux hormones, un pic de l’autre, quelque chose comme ça, qui provoque l’ovulation. Le petit œuf est largué, dans les heures qui suivent (mais le délai n’est pas fixe d’une femme à l’autre), et ne survit que quelques heures. Bref, je fais pipi sur des petits bâtonnets et je les regarde plusieurs fois par jours, mais ça ne m’avance pas beaucoup. C’est long, 28 jours pour un ovule.
Il faudra deux cycles pour que “ça reprenne”, comme on dit. C’est plutôt rapide, on a de la chance, mais sur le moment, ça me semble interminable. La nouvelle grossesse, ma troisième, aura débuté en octobre, je le saurai fin octobre. Cinq mois après le début de ma grossesse “pour rien”, trois après la découverte de la fausse couche. Une saison dans le deuil.
Avec cette nouvelle grossesse, est arrivée une dernière période d’attente et d’incertitude. Un peu moins de deux mois, avant la nouvelle T1, à tenir, dans la fatigue, les hormones et les nausées, en essayant de ne pas paniquer. De longues semaines, à traverser un tunnel en espérant que cette fois-ci, ce serait la bonne. À espérer que c’était bien un accident, pas le symptôme d’un problème chez moi, auquel mon aîné aurait échappé. À naviguer entre les examens complémentaires, parce qu’on m’a tout de même surveillée d’un peu plus près. Beaucoup d’émotions, dont je ne sais pas si je pourrais un jour vraiment les démêler, mais dont je voulais dire qu’elles ont été là, très présentes, et qu’il a aussi fallu y faire face. C’est peut-être en espérant mettre enfin tout cela derrière moi que j’écris aujourd’hui.
G.3.P.2.
J’aurai toujours un petit pincement au cœur en voyant l’abréviation sur mon dossier. Tant pis. Je me concentre sur le petit P2.
Nous aurons plusieurs enfants. Depuis aussi longtemps que je me souvienne, c’est une évidence entre mon mari et moi : nous voulons plusieurs enfants. Quand nous avons choisi la poussette, le siège-auto et le porte-bébé, nous nous sommes dit que tout ça servirait au moins deux fois. La première chambre bébé n’était pas encore aménagée que nous savions quelle pièce allait accueillir la deuxième. Et puis bien sûr, après la naissance de C., quand il a fallu que je choisisse ma nouvelle contraception, puis que je la change, deux fois, on l’a toujours fait en se disant que de toute façon, on n’en avait besoin que pour quelques mois. Bref, on s’est pas mal projetés depuis le début. Et pourtant, on n’a jamais envisagé que le projet Bébé II puisse déraper. Peut-être parce que tout s’était très bien et très vite passé pour C. Grossesse au deuxième mois d’essai, analyses toujours nickelles, bébé visiblement en forme à chaque écho.
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