Quand on parle éducation bienveillante, il y a souvent beaucoup de confusion. Ça ne s’arrange pas quand on la pratique – ou qu’on essaie – contrairement à ce qu’on pourrait croire. Au final, la plupart des gens qui s’y engagent consciemment n’en ont pas eux-même bénéficié, ont peu de références, pas d’expériences et tâtonnent franchement. On ne va pas leur jeter la pierre, ils ont au moins le mérite d’essayer – je dis pas ça pour moi du tout, non, non.
Une des confusions qui m’ont frappées récemment relève du poids à accorder à la parole de l’enfant. Pas en termes de « vérité » ou de justesse mais plutôt en terme d’expression de leur volonté. De voix au chapitre, de droit à s’exprimer et à donner son opinion. Or j’ai le sentiment qu’on confond parfois deux choses : le droit d’exprimer ce qu’on ressent et ce qu’il convient de faire de cette information. D’ailleurs ça concerne aussi largement les adultes, l’actualité nous le prouve bien mais c’est un autre sujet.
Chez les Something, nous accordons à notre enfant le même droit que nous à dire ce qu’elle ressent, ce qu’elle pense. Quoique pour être plus juste je devrais dire qu’on s’efforce de s’accorder à nous même le même droit qu’elle, vu qu’on a encore beaucoup de mal en tant qu’adultes à dire ce qu’on ressent plutôt que ce qu’on attend de nous.
Mais bon l’idée est là, le Jaguarondi a le droit de dire ce qu’elle veut. Même si ça ne nous fait pas plaisir, même si c’est embarrassant, même si devant la boulangère ça peut la fiche un peu mal, on assume. Au fur et à mesure de son évolution on va tenter d’introduire le tact via l’empathie, là pour l’instant elle a à peine deux ans donc faut pas trop en demander. Dans l’absolu, sa parole est libre et on ne lui reproche pas de dire ce qu’elle ressent – en plus on est déjà vachement contents qu’elle parle, hein.

L’aspect qui déstabilise parfois les gens par rapport à l’éducation bienveillante, c’est que ça ne nous engage à rien quant à ce qu’on va en faire, de cette parole.
Parce que quand on évoque le sujet, pour certains le raccourci est immédiat : « Alors elle a le droit de faire ce qu’elle veut ! Alors y a plus de limite, c’est elle qui commande ! »
Ben non, pas du tout. Il y a encore une différence entre écouter quelqu’un et faire ce qu’il demande.
Imaginez que vous vous levez le matin et que vous dites à votre conjoint « La vache, j’ai pas du tout envie d’aller bosser aujourd’hui. Rien qu’à penser à la réunion avec Jean-Classeur du département Achats je veux retourner sous la couette. »
Vous comptez sérieusement zapper le boulot ? Non, vous avez juste envie de râler un peu, quoi. Des fois, ça fait du bien de dire comment on se sent, sans rien attendre en retour.
Imaginez qu’en retour, Sucre d’Orge vous réponde « Ah commence pas à chouiner, tu iras au taf même si je dois t’y traîner avec une fessée, je veux rien entendre ! »
On est d’accord que vous plantez là Sucre d’Orge et que vous envisagez sérieusement de passer la prochaine Saint-Valentin avec quelqu’un d’un peu plus agréable ?
Chez nous, avec les enfants c’est pareil, quand le Jaguarondi nous explique qu’elle a très envie d’écrire sur les murs, qu’elle veut pas rentrer à la maison ou qu’elle aimerait rester au parc, on lui dit qu’on entend, qu’on comprend et que ça doit pas être drôle même si c’est néanmoins une nécessité/un interdit. Que notre vie de famille et nos équilibres obéissent à des règles et des obligations dont nous, parents, sommes les garants. Donc à moins d’avoir le choix, qu’on rentre quand même — et pour les murs c’est clairement non.
Bon, jusque-là on est tous à peu près d’accord. Rien de révolutionnaire.
Écouter l’autre et accéder à ses désirs, ce sont deux choses différentes.
Écouter son enfant et lui donner le pouvoir de prendre toutes les décisions, aussi.
Entre autres parce que prendre des décisions, c’est en prendre la responsabilité.
Démocratie en famille
J’entends souvent parler de la démocratie en famille, de l’existence de conseils de famille hebdomadaires où l’on prend les décisions en commun et où tout le monde a le droit de vote quel que soit son âge.
Ça m’a l’air très sympa, je me dis que je tenterais bien le coup quand nos bestioles auront grandi. Mais dernièrement j’ai aussi entendu un truc qui m’a fait écarquiller les yeux.
« Nous quand on a eu envie de faire le troisième, on a fait un conseil familial et tout le monde a voté. C’est une décision qui a des conséquences sur les aînés, ils ont leur mot à dire. Leur imposer unilatéralement notre décision ce serait une VEO ! »
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Ah punaise non, sans moi, y a pas moyen.

Par où commencer ?
Il me semble totalement illusoire de croire que le pouvoir de décision ne s’inscrit qu’en positif. Décider, c’est assumer, c’est porter des responsabilités.
Et donner à un enfant des responsabilités au-dessus de ses capacités compte tenu de son âge et de sa personnalité, en fait c’est une violence éducative à mes yeux.
C’est quoi être responsable ? C’est assumer les conséquences de ses actes, endosser la faute en cas de manquement, accepter qu’on s’est trompé et que cela aura des répercussions pour l’avenir, pour soi, pour l’autre, réparer ses erreurs.
Et la responsabilité de faire ou de ne pas faire un enfant, ça me semble carrément être le summum de la pression niveau décision. Créer une vie. Genre niveau chirurgien cardiaque ou Dieu. Pas le genre de truc que j’irais faire porter à un enfant.
Si avec M. Puma on veut un bébé, on ne demande pas au Jaguarondi. On l’informe.
Accessoirement, c’est ce qu’on a fait.

Je vais même aller beaucoup plus loin au risque de choquer mais ce qu’elle en pense n’a aucune fichue incidence sur notre décision. Pourquoi ? Parce qu’en tout état de cause elle n’a aucune idée de ce que ça signifie, en réalité.
Soyons lucides, quel parent peut dire qu’il savait à quoi s’attendre avant la naissance de ses enfants ? Même un tout petit peu ? Dans la joie comme dans les peines, chaque naissance est un saut dans l’inconnu pour les adultes que nous sommes. Comment, dans ce contexte, peut-on imaginer qu’un enfant soit en capacité de se projeter et de prendre une décision à ce sujet ?
Par ailleurs, si les enfants décident à rebours du désir de leurs parents, ça se passe comment ? Ça semble tomber sous le sens qu’on ne va pas se forcer à faire un bébé dont on ne veut pas parce que les gremlins ont voté pour agrandir la fratrie. Mais quid de l’inverse ? Est-ce que les jeunes Marie-Châtaigne, Jean-Noisette et Anne-Amande seront plus épanouis si leurs parents leur reprochent inconsciemment d’avoir voté non quand ils ont posé le bâton de parole, alors qu’eu rêvaient de ce quatrième ? Et si les mini changent d’avis pendant la phase d’essais ? Et si les mini changent d’avis EN COURS DE ROUTE ???

J’ai un gros doute.
Pour moi, le job des parents c’est de se mettre d’accord entre eux sur la construction de leur famille et de faire en sorte que leurs enfants le vivent au mieux. Pas de bâtir une maison de poupée géante sur mesure pour leur.s aîné.es. Quelque soit la situation, on fait en sorte que ces derniers acceptent leurs cadets – qui sont des êtres humains, des gens, pas des employés à l’essai – et il est hors de question de valider d’une façon ou d’une autre l’idée selon laquelle cet autre être humain leur pose un problème de par sa simple existence. Le côté « tout allait bien mais ils ont décidé de mettre au monde Cajou, tout est de leur/sa faute » me révolte profondément. On n’a pas à faire porter ça à un enfant, on n’a pas à valider cette vision des choses chez son aîné.
Autant vous dire que quand j’ai entendu parler de ça mon sang n’a fait qu’un tour et je me suis dit qu’il y avait encore du chemin à parcourir sur la route de l’équilibre pour certains, sur les deux versants de la colline. À mes yeux, écouter son enfant et le faire participer à la vie de famille ne signifie pas ni faire ses quatre volontés, ni lui déléguer des responsabilités en cascade.
Les refus sont structurants – et il n’y a pas besoin de les appliquer du plat de la main ou de les accompagner de mots blessants. On n’est pas un tyran quand on fixe une limite à son enfant pour son équilibre. Les responsabilités aident à prendre en autonomie, en effet mais à condition d’être adaptées aux capacités de chacun.
Enfin voilà, des fois je me dis qu’entre l’éducation répressive dont on travaille encore à se remettre et l’espèce de soupe permissive dans laquelle basculent certain, il y a un équilibre à trouver, que c’est pas facile mais qu’on peut au moins faire de notre mieux sans se juger. Ou pas trop, quoi.
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